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Emmanuel Péreire
Entretien avec
Michel Nuridsany

- FRAC des Pays de la Loire - Clisson - 3 / 4 / 1992

Artiste hors norme, Emmanuel Pereire est un peintre irrésolu. Personnage étrange, d'une rigueur exemplaire, qui fascine par ;son intelligence paradoxale, plus encore. que par sa culture, eIle aussi inhabituelle, par son attitude à la fois inflexible et fluctuante. Pereire séduit, irrite, étonne.
Oui, il étonne plus encore qu'il ne convainc. Pereire est un ,grand perturbateur, mais un perturbateur discret. Tous ceux qui l'ont rencontré sont sortis de chez lui assurés d'avoir rencontré là un génie, une sorte de génie méconnu et puis, par un effet de retoumement fréquent lorsqu'on a affaire à les artistes non reconnus, non répertoriés, tout ce qui avait plu, quelques jours après se trouve mis en cause. S'il parlait si bien c'est qu'il y avait une pente littéraire dans son œuvre; s’il était si bizarre c'est qu'il n'était pas très normal; si à son age il n'avait pas encore exposé dans les grandes institutions ,rançaises, c'est qu'il devait y avoir quelque chose. Quoi ? mystère. L'étrange étrangeté de Pereire dérange. Dans le milieu ie l'art contemporain, plus conformiste qu'on ne croit, on ni'aime guère cela.
Emmanuel Pereire, pour autant, n'est pas un inconnu. En 1967,
il expose au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles. En 1972, il a une exposition personnelle au Musée d'Art Moderne de New York et en 1977 à Clocktower. En 1984, il participe à l'exposition de la réouverture du MOMA. En 1987, Marie-Claude Beaud, dont il faut souligner la perspicacité, lui consacre une importante rétrospective à la Fondation Cartier. Son parcours dans les galeries n'est pas moins intéressant : en 1965 galerie Knoedler catalogue préfacé par Roland Barthes), puis galerie Stadler, galerie Droll et Kolben à New York et à Paris la galerie Samia Saouma et enfin la galerie Isy Brachot.
Mais Pereire ne respecte pas les balises, néglige les grands rendez-vous obligés, s'ébroue aussi dans la littérature, publie les livres chez Bourgois, chez Flammarion dans la collection Textes, au risque d'accréditer l'idée d'une composante littéraire de son art. Pereire ne respecte d'ailleurs rien. Et pas plus l'art que le reste. Un jour ou l'autre cela se paie.
A l'âge qu'il a (il est né en 1930) cet artiste n'a certes pas la place qui lui revient, sans doute à part, de guingois, mais au tout premier plan. Car Pereire, qu'on le veuille ou non, dans sa peinture, touche à l'essentiel. je n'en connais pas beaucoup dans ce cas là. Mais il déconcerte. Il trouble même ses plus fervents zélateurs parfois. Tant mieux! On oublie trop souvent que l'art doit être inconfortable. Que l'artiste n'est pas un acteur culturel. L'artiste est quelqu'un qui pose des questions, ouvre l'espace, empêche l'être et le monde de se figer dans des formules.
Pereire travaille dans l'ouvert et dans l'irrecevable. "Beaucoup de gens, dit-il, se posent des questions mais c'est parce qu'ils s imaginent connaître déjà la réponse. En fait, je pense qu'on ne peut avoir qu'une certitude, celle du doute. C'est le doute qui pousse à explorer. Les anges sont le symbole de cette énigme" On lira dans l'entretien qui suit ce que Pereire, qui se dit angélologue, attend des anges, du paradoxe inextricable que constitue leur existence même. On verra moins la composante ironique de sa démarche où la dérision est l'arme idéale qui maintient la tension à son point d'extrême incandescence.
L'exposition d'aujourd'hui, qui donne à voir quelques œuvres anciennes permettant de mieux situer cet artiste irréductible et insituable, justement, montre surtout une série d'inventaires passionnants qui, à la suite des Leçons de peinture de jadis (et d'une manière plus radicale), s'interrogent sur l'être même de la couleur. Voici : au centre de la toile Pereire installe ses variations, ses petits tas de couleurs mêlées ou ses larges à-plats. Mais moins en artiste qu'en ethnologue ou en scientifique. Il observe, analyse, expérimente, regarde la couleur comme aucun artiste avant lui ne l'a fait. Ses inventaires de couleur pure ne sont nullement des monochromes mais très simplement de la couleur posée sur une toile et qu'on regarde en tant que telle et qui incite le spectateur à se poser des questions essentielles. Mais ses inventaires des mélanges de couleurs que sont-ils ? Comment un tel inventaire est-il possible ? Pereire ne se trouve-t-il pas confronté ici au même attrait de l'impossible qui saisit Léonard de Vinci lorsqu'il se penche sur l'examen des nuages ou des mouvements de l'eau ?
Emmanuel Pereire face à l'insoluble sourit. C'est là son territoire.
M. N.

 

PEREIRE, CONCEPTUEL ANGÉLIQUE


Michel Nuridsany - Une exposition, qu'est-ce que c'est pour toi ?
Emmanuel Pereire - Une exposition, c'est pour les autres. Ce qui me concerne c'est le besoin de créer. Ce besoin de créer nécessite un témoin: ce sont les autres. J'ai toujours eu besoin de témoins. C'est une grande faiblesse mais je crois que tout le monde l'a plus ou moins. Contrairement aux Anglo-Saxons qui font le tour du monde seuls, je ne peux pas voyager sans témoin. je ne peux pas faire le tour de ma chambre seul. Enfin j'y arrive... C'est une exagération. Pour rire. Mais pour ma peinture ce témoin qu'est l'autre est absolument nécessaire parce que s'il n'est pas là, ce que je fais n'existe pas. Il me faut un miroir.
M. N. - Tu m'as souvent dit, surtout récemment, que tu ne t'i'ntéressaispas du tout à toi même.
E. P. - je tends à cela. Psychogénétiquement on ne peut pas sortir de soi, alors mieux vaut ne pas s'en occuper. je m'intéresse à ce qui m'est révélé, à ce que je ne connais pas. Les autres, étant forcément différents - puisque nous ne sommes pas encore uniformisés, mais ça viendra - chacun me montre des choses que j'ignore. je tends par conséquent vers un sens de l'altérité très fort. Tout ce qui n’est pas l'altérité m'indiffère. Parfois la psychanalyse nous revlèle des choses inconnues sur nous-même. C'est pour cela qu'elle est tellement passionnante, qu'elle l'est redevenue parce qu'avant, elle était terriblement dogmatique. L'Institut de psychanalyse a figé le rituel psychanalytique, Lacan, lui, a introduit l'être dans le système. (Et le refoulement est un système). Si je m'intéresse à l'autre et à l'autre qui est en moi-même, c'est que tout ce qui me permet de vivre plus, pas moins, me requiert. C'est là toute mon ambition. je suis ravi quand je découvre des choses chez les gens, surtout si je ne suis pas d'accord avec eux. Si je suis d'accord nous sommes conformes et rien ne se passe. Parfois ça m'est désagréable, mais ce désagrément est compensé par le fait que plus c'est désagréable, plus j'apprends de choses sur moi à travers l'autre par un effet de miroir.
M. N. - L'autre en général est donc intéressant dans sa différence. Mais les autres artistes ? Quels sont ceux qui ont compté pour toi ou dont tu te sens proche, qui font partie de ta famille ? Tu m'as toujours dit que le plus grand c'était Walter de Maria.
E. P. - C'est celui qui m'intéresse le plus; mais je ne pense pas qu'il y ait de parallèle entre nous. Il a fait tout avant tout le monde et tout ce qui se fait est un sous-produit de lui. C'est évident. Walter de Maria est le seul artiste (en cela il est proche de Levi- Strauss) qui a tout inventé sur le terrain à la différence de gens comme Carl Andre, par exemple, qui ne m'intéresse pas du tout. Walter de Maria est totalement inclassable. Ce qu'il fait peut être considéré comme de l'art conceptuel, de l'art utilisant la nature elle-même en tant qu'art. Cette profonde ambiguité, je ne connais personne qui l'ait à ce point. Ce qui m'énerve chez Beuys par exemple c'est le voulu de ses attitudes. J'ai horreur de ça. C'est de l'art artistique quîntessencié, bien qu'il ait apporté beaucoup de choses dans certains domaines... je hais les artistes, autant que celui qui a écrit je hais les acteurs (Ben Hecht) haissait les acteurs, j'imagine. Produire une activité artistique, oui, mais l'envisager sous l'angle artistique, non. Ça m'est insupportable. Ça ôte tout le mystère de cette activité étrange qui vient par-dessus le reste. Ou qui s'insinue dans le reste, entre la nature et le mental.
M. N. - Quels sont les artistes qui t'ont marqué quand tu étais enfant ou adolescent ?
E. P. - Il y en a surtout deux. Le premier c'est Mondrian. Tu vois le tableau qui est là au mur avec des lignes courbes qui se croisent : je l'ai fait il y a très longtemps. C'est du Mondrian mou. J'ai été totalement obsédé par Mondrian ! Et cela dès l'enfance, dès l'âge de six ans. Pour moi il y avait chez lui une rigueur miraculeuse et je sentais, malgré mon jeune âge, qu'il y avait là, sous-jacente, une vie énorme qui se cachait derrière cette rigueur... J'ai eu aussi, très tôt une passion pour Munch.
M. N. - Les rapports entre tol et Munch sont plus évidents qu'avec Mondiian...
E. P. - Littéralement il n'y a en effet pas beaucoup de rapports entre Mondrian et moi. Sauf le fait que derrière toute cette rigueur il y a une effervescence...
M. N. - ... Comme chez Flaubert. Après avoir lu I'œuvre, si maîtiisée, il faut lire la correspondance.
E. P. - Exactement. C'était sûrement dû au fait qu'il avait une très riche "névrose d'humanité" La névrose est une source de richesse fantastique à condition qu'on sache l'utiliser.
M. N. -Le surréalime t'a-t-il intéressé?
E. P. - Les surréalistes me rasent absolument. Mais Chirico est génial. Dans sa première période, que je préfère, naturellement, mais aussi dans la seconde, dans sa décadence. Il a surgi d'une façon extraordinaire... Le surréalisme est un système avec un dictateur, André Breton. Presque toutes les peintures surréalistes sont mauvaises. Chirico se trouve classé là-dedans mais, au fond, ça n'a rien à voir. On l'a déclaré surréaliste mais il est beaucoup trop génial pour être classé comme ça.
M. N. - Tol aussi tu es inclassable.
E. P. - Oui et fluctuant. Difficilement repérable. D'autant plus que j'ai menti sur mon âge. En fait jai stalinisé une partie de ma vie. Staline, tu sais, ne condamnait pas les gens à mort : il les faisait disparaitre, il gommait tout d'eux, leur présent, leur passé. Et c'était comme s'ils n'avaient jamais existé. Moi j'ai toujours fait beaucoup plus jeune que mon âge. Et, par coquetterie imbécile, je me suis dit que c'était bien agréable de changer d'âge. J'ai suivi le mouvement. J'ai rajeuni. Ce faisant, j'ai annulé, éliminé, toute mon œuvre d'avant 1965 alors que, si j'avais vécu avec mon âge réel, tout se serait mis en place plus normalement, les gens auraient pu voir l'ensemble de mon œuvre, les Lévitations notamment que je peignais à l'âge de quatorze ans.
M. N. - Quel enfant étais-tu ?
E. P. - J'étais dyslexique. On m'avait mis à l'âge de quatre ans à l'école Montessori (l'historique celle qui était difirée par Maria Montessori elle-même). On y amenait d'ailleurs toujours les débiles, les aliénés, pour voir comment pourrait être plus tard leur réaction à la scolarisation. Maria Montessori croyait que sa méthode était formidable. Elle pensait que, pour les gens qui, comme moi, étaient complètement dyslexiques, ne pouvaient ni lire ni comprendre, il suffisait de remplacer les mots par des symboles, le nom propre par un triangle bleu, le verbe par un losange vert: en dehors d'Einstein je ne vois pas qui aurait pu comprendre ! C'était une école pour surdoués! Moi tellement dyslexique que je n'arrivais jamais au bout d'une phrase et, en plus, j'inversais tout. Mon beau-père, qui voulait absolument que j'aille à l'école, a essayé pendant deux ans de me faire apprendre par cœur un certain nombre de phrases, de notions; mais je n'y arrivais pas. A l'école, si tu ne peux pas faire une phrase on ne peut rien t'enseigner. Tu ne peux pas apprendre tes leçons, tu ne peux pas les réciter. Finalement, malgré tous les efforts de mon beau-père, ça n'a pas marché et j'ai cessé d'aller à l'école. Après je suis allé en Angleterre dans une institution privée, somptueuse, pour personnes relativement aisées (à l'époque il y avait encore un peu d'argent dans la famille) mais c'était une école pour les fous. Ils descendaient l'escalier sur le derrière en faisant tut, tut... Des fous, oui. Comme dans ma famille où tout le monde est fou. Ça vient du mariage consanguin accepté par le Roi (Louis-Philippe et mon parent étaient en très bons termes). A cause de cet inceste du second degré, donc parfaitement illégal, toute une branche de la famille a été frappée. Pas de chance, c'est la mienne. C'est comme cela qu'on a perdu une telle fortune, parce qu' à ce moment-là des hommes d'affaires tournent autour de vous et tout s'en va, tandis que si on achète des hôtels particuliers pour quinze maitresses, une fortune comme celle des Pereire ne peut pas disparaitre. J'ai toujours eu un côté débile. On m'a même renvoyé de l'école : n'est-ce pas une preuve ?
M. N. - Peindre des Leçons de sculpture, Leçons de peinture, Leçons de dessin, comme tu l'as fait, n'est-ce pas une façon de compenser?
E. P. - C'est peut-être une façon de me refaire une normalité. Ça, c'est sûr. Parce que je me suis refait une normalité: j'ai même écrit. Tu le sais mieux que personne puisque tu as publié ma Mise en pièces dans la collection Textes chez Flammarion. Maisje suis un self-made-man de la normalité. J'ai tout appris en transpirant, en essayant de compenser, en faisant tout moi-même. Pour ne pas rester débile - ce qui est dommage. je le dis en riant parce que si je ne riais pas, j'aurais très peur... En fait le cerveau n'est qu'un instrument. Tout dépend de ce qu'on fait avec lui. Il y a d'innombrables exemples de gens dont le cerveau fonctionne bien mais platement. Ces gens-là ne sont pas intelligents. Quatre-vingt-dix pour cent des agrégés de philosophie sont des crétins incapables de faire autre chose que de dérouler une sorte de ruban de connaissances. Cela peut paraitre mégalomane ce que je vais dire, mais j’ai un sens de la perception absolument extraordinaire. Et cela depuis l'enfance. Parce que j'étais un très grand égocentrique presque autistique. je me suis donc dit : comme la névrose est une chose d'une richesse extraordinaire, il faut la développer au mieux, comme le cerveau. C'est le même principe. Pour simplifier : il y a des repères, même s'il ne faut pas trop compter dessus. La névrose se définit par rapport à la psychose : le névrosé est déformé par le monde. Il est en contact avec lui, donc chaque catastrophe, il la reçoit en pleine figure et il est déformé par ce qu'on appelle le monde extérieur (parce que le mot réalité, pour moi, ne veut rien dire). Le psychotique, c'est exactement le contraire : il fabrique son monde, il écrase entièrement l'extérieur selon ses critères à lui. Puisqu'il est enfermé dans son monde, un monde parfaitement rationnel que rien ne dérange, il peut tout faire. Et c'est pour cela que parfois les gens ne se rendent pas compte que les psychotiques sont psychotiques : ils peuvent aller à leur travail, ils sont très ordonnés mais à un détail, à une réflexion, on s'aperçoit que ça ne colle pas. Il y a une sorte de monstrueuse perfection et un curieux malaise... Comme dans la vie de tous les jours, parfois. Les gens ont toujours une opinion sur tout: sur le Président de la République, la forme du col de leur chemise ou sur Dieu. S'ils aiment le bleu plus que le jaune, ils ne se posent pas d'autres questions, ils deviennent celui qui aime le bleu. Ça n'évolue jamais. C'est terriblement répétitif. Les gens ont, en plus, une curieuse propension à parler en leur nom. Erreur fatale! Quand on me demande une opinion pseudo- religieuse sur l'univers, je réponds toujours que je n'en sais rien puisque J'en fais partie. C'est évident. Un philosophe italien dont le nom m'échappe a dit une chose très importante (tout ça, c'est pour faire comprendre mon attitude par rapport à mon travail), il a parlé de pensée temporaire. La pensée est une chose temporaire. Oui. Elle ne doit pas être fixée. Elle doit évoluer, être exploratoire. Seul le principe de l'exploration m'intéresse.
M. N. - Et les paradoxes ?
E. P. - Les paradoxes aussi parce qu'ils sont insolubles. C'est ainsi que je suis tombé sur les anges, symboles extrêmement forts, extrêmement étranges, qu'on retrouve dans toutes les civilisations et c'est normal parce que les gens ont toujours besoin d'un intermédiaire. Impossible d'être nez à nez avec soi-même ! Toutes les civilisations ont inventé un rapport d'elles-mêmes avec l'univers qui les situe en-dehors du néant. L'ange, qui est une structure paradoxale absolue, forcément ça aiguise le cerveau ! Avec Roland Barthes, que j'ai bien connu, j'ai fait un test. Une fois qu'il était chez moi je lui ai montré un livre écrit par le père Guérard des Lauriers sur la Peccabilité angélique. C'est un livre que personne au monde ne peut comprendre. Impossible. Sauf celui qui l'a écrit. J'ai un ami qui suivait les séminaires du père Guérard des Lauriers; celui-ci lui a demandé un jour ce qu'il pensait de tout ce qu'il avait dit au coursde l'année. "Mais, mon père, ça fait un an que je ne comprends rien;' lui avait-il répondu. Et Barthes qui ne comprenait rien non plus à ce livre a simplement dit une chose très drôle (très drôle mais lui le disait sérieusement): "C'est merveilleux d'avoir un système" Ce livre, à l'origine, avait été publié au Vatican, il avait été repris par Brouwers en France. Il y a peu d'angélologues. Comme les gens entendaient dire que je l'étais, plusieurs prêtres sont venus me voir pour coincer ce farceur insolent et sacrilège. Ils étaient complètement ratatinés par moi. Ils ne savaient pas le dixième de ce que je savais. C'est très drôle. Entre autres J'ai eu une conversation avec le père Danielou qui avait écrit un livre sur les anges. Tout ce qu'il disait était d'une platitude absolue. Tout était si plat que je ne pouvais absolument pas répondre. Quand les gens sont bêtes je ne les comprends plus. C'est comme s'Ils parlaient patois.
M. N. - En dehors des paradoxes angéliques quels sont les domaines de la pensée qui't'intéresse ?
E. P. -je ne réagis jamais en érudit. La seule chose pour laquelle je pourrais vibrer un peu, c'est ce que j"appelle les grandes mutations qui sont les choses les plus rares et les plus impossibles. Pour moi, dans l'histoire de l'humanité telle qu'elle est arrivée jusqu'à moi, parce que je ne suis pas un spécialiste, la grande mutation c'est quand l'homme s'est mis debout. Pourquoi ? Parce qu'il montrait son sexe pour la première fois. Ça a tout changé, la dimension sexuelle. Cela a fait entrer dans la vie de l'homme des émotions qui n'existaient pas avant. De la même façon, dans la religion chrétienne, la dimension de la charité est une petite dimension, importante. La notion de charité, dans l'humanité, a quand même changé beaucoup de choses. Maintenant elle est complètement détériorée. Mais la plus grande mutation, à mon avis, vient des présocratiques. Ce sont les premiers qui ont utilisé le langage pour construire le monde. C'est une mutation absolument gigantesque. Et la prochaine mutation, qui arrivera ce sera la mutation de ne plus avoir d'intermédiaire quel qu'il soit entre soi et le monde. L'être humain ne peut s'y résoudre. C'est amusant d'y penser. Il y a les mutations zoologiques aussi. Moi, dans toutes sortes de domaines, je fonctionne à la mutation. C'est pour cela que je dis que je tends vers. Ce sont de minuscules mutations.
M. N. - Parlons donc maintenant plus précisément des mutations qui traversent ton œuvre. Tu intitules une partie de l'exposition Inventaire de la couleur. Ce titre évoque irrésistiblement d'autres œuvres réalisées au moment où tu peignais des empereurs romains, en pleine période conceptuelle, tes Leçons de dessin, tes Leçons de peinture, tes Leçons de sculpture. Prenons par exemple les Leçons de sculpture : peux-tu expliquer en quoi cela consistait ?
E. P. - Ça montrait des sculptures en papier fort qui ressemblaient aux très mauvaises sculptures qu'on voit dans les banques américaines. je voulais mettre le doigt sur l'aspect répétitif de l'art, essayer, moi de ne pas l'être. Giacometti et Mondrian c'est le contraire de la répétition même s'ils donnent l'impression de toujours faire la même chose. C'est une quête du Graal qui ne s'arrête jamais. On ne peut pas être moins répétitif que ça. Soulages, lui, est purement répétitif : il n'y a aucune recherche d'aucune sorte. je me mettais dans le bain moi-même, je me disais : je ne crois pas être répétitif mais sait-on jamais; en tout cas je sais que je ne trouverai jamais ce que je cherche. Pour moi c'est très important : si on trouve ce qu'on cherche c'est qu'on est arrêté. J'avais au moins la prétention de tendre vers le contraire. Le livre des projets sans fin dont étaient extraites ces Leçons indique bien de quoi il s'agit : c'est une sorte d'idéal pour montrer que la plupart du temps cet idéal n'existe pas.
M. N. - Ce Livre des projets sans fin ressemble à quoi ?
E. P. - Ce sont deux grands cahiers qui rassemblent tous mes projets. Tout ce que j'ai fait sort du Livre des projets sans fin.
M. N. - Donc à l'ongine de tout il y a le Livre ?
E. P. - Oui. Dedans il y a Le cabinet de l'amateur, Les leçons de peinture qui essaient d'être des œuvres subversives. Par exemple les Leçons de sculpture, pour en revenir à ta question, c'était ce que j'appelle du ''Bank art". Aux Etats-Unis les administrations ont dejolies sculptures imbéciles, creuses, qui ne veulent rien dire, c'est sur cela que je me suis fondé. J'ai fait une exposition à PS 1 et J'ai demandé à ce que ça ne dure que trois jours, pour montrer qu'une fois que j'avais réalisé la chose il ne restait plus, pratiquement, qu'à la détruire. je donnais à voir là des sculptures assez grandes (un peu plus d'un mètre de haut) qui ressemblaient aux sculptures des banques. Et beaucoup de gens qui étaient venus disaient : "Ah ce sont de jolies sculptures, vous savez vous devriez faire ça en étain ou en cuivre ou en fer ou en acier, ce serait très beau" A ce moment-là je donnais une pichenette et la sculpture s'écroulait par terre. En réalité c'étaient les vingt-six lettres de l'alphabet découpées dans du papier fort que j'avais entortillées de façon à les installer dans l'espace et à en faire de vagues sculptures. Elles passaient en un clin d'œll de la troisième à la deuxième dimension, s'aplatissaient au sol, redevenaient lettres. C'étaient de merveilleuses sculptures imbéciles qui pouvaient varier à l'infini. Devant les yeux des visiteurs je les faisais passer de la deuxième à la troisième dimension et je réinstallais la sculpture avant de donner une pichenette devant quelqu'un d'autre. C'était au tout début de PS 1 avec Alana Heiss. Elle m'avait donné Carte blanche. Sur le mur blanc j'avais collé les lettres de l'alphabet en matière plastique blanche. je les ai encore ici. C'était l'ombre de la supercherie que je faisais. Et effectivement les gens ne les remarquaient pas. J'aimais bien cette idée qu'il y ait une trace invisible de la supercherie... A propos du Cabinet de l'amateur quand Alana Heiss a parlé de mon œuvre elle a dit : "Emmanuel does also extraordinary bad paintings" C'est la première fois historiquement qu'on employait le terme badpainting. C'était en 1974. Les Leçons de pei'nture montrent plus ou moins la même chose. J'emploie le mot Leçons non pas dans le sens de faire la leçon mais dans le sens ancien, comme on parle de Leçons de ténèbres. J'ai voulu que la peinture soit considérée comme une simple démonstration. J'ai voulu désinspirer la peinture. je trouve ça très important d'avoir ce recul qui fait qu'on n'a pas le nez et son âme dans la peinture. Si on a de l'inspiration en plus tant mieux!
M.N. -Peut-on dire que toute ton œuvre est hantée par cette idée-là, de désinspiration et de démonstration ?
E. P. - Oui. Parce que l'inspiration est une tautologie. Un peintre suffisamment bon est inspiré. Si en plus il s'occupe de l'inspiration, quelle redondance! L'inspiration, il n'a pas à s'en occuper du tout. Nous ne devons pas nous occuper de ce qui nous concerne. Parce qu'on devient soi-même une répétition. La chose qui m'intéresse le moins, comme je l'ai dit, c'est ma propre personne. Donc mes Leçons n'ont pas pour but de donner des leçons mais au contraire de cesser d'en faire. Dans mes propos j'emploie souvent l'expression tendre vers, ce qui est tout de même relativement modeste. Tendre vers le fait de ne pas m'intéresser à moi en tant que siège de l'inspiration. je tends vers les choses pour ne pas avoir le nez dessus. je tends vers le fait d'être dans un processus d'exploration. Mais c'est un peu prétentieux.
M. N. - Pendant quelques années tu as exploré des territoires qui étaient ceux de la peinture. Mais autant, dans le début des années 70, tu t'opposais par tes projets du Cabinet de l'amateur à une situation qui était dominée par le conceptuel et le minimal, autant dans les années 80 on peut penser que tu te fonds dans le grand mouvement de retour à la peinture de ces années là. De quelle façon t'en sépares-tu encore ?
E. P. - D'abord, au départ l'étais quand même un peintre avec un grand chapeau et un foulard rouge. Un peintre est un peintre. Si ]'étais né conceptuel de la cuisse de Jupiter ce ne serait pas très intéressant. L'important me semble-t-il c'est le passage. Ce n'est pas plus naturel de naître conceptuel que de naître avec le pouce dans le trou de la palette. En fait j‘ai une propension assez naturelle à la contradiction. Mais ce n'est pas moi qui ai décidé ça.
M. N. - La contradiction est une constante chez toi ?
E. P. - Oui. je peux dire une chose et son contraire, le peux mélanger les choses et je peux dire des choses inexactes. L'inexactitutde est la politesse des artistes. Il y a d'autres contradictions. Il y a les anges qui sont peut-être la constante majeure. Comme tu sais, très tôt je me suis intéressé à l'angélologie, c'est-à-dire à la théorie propre des anges. je parle bien de la théorie, pas de l'iconographie : s'il m'est arrivé de représenter des anges en peinture c'est pour ne pas être rigide, pour montrer ce qu'il ne fallait pas faire, parce que les anges n'ont pas d'apparence. Ce qui est au cœur de la question c'est que, dès qu'on en parle, les anges sont des paradoxes inextricables et c'est en tant que paradoxes inextricables qu'ils nous donnent de grandes leçons sur le comportement de nos convictions. Aucune conviction ne résiste au paradoxe des anges.
M. N. - Pourquoi?
E. P. - Parce que ces collisions de propos constituent une sorte de déflagration d'arguments qui se cognent et qui ne se résolvent jamais. Et d'ailleurs quand je faisais des conférences angélologiques à New York ou lorsque J'en ai faite une à Beaubourg, le but était de montrer au gens que ce qu'ils avaient à entendre, ils n'y comprenaient rien. Parce que c'était incompréhensible.
M. N. - Les anges étant les messagers de Dieu tu veux donc dire que la parole de Dieu est incompréhensible ?
E. P. - C'est ça: ils sont les messagers de Dieu. Ou de rien. Moi je m'occupe des anges d'une manière perverse. je commence toujours mes conférences en citant Saint Thomas d'Aquin - sans le nommer parce que je trouve ça plus drôle - qui dit que la nature des anges s'est produite avant la création et après, l'éternité. Ça donne déjà une idée de la conflagration argumentielle de la chose. Et tout suit comme ça. Un détail encore, qui explique mon attitude par rapport à mon travail: les anges sont des créatures et des entités, les deux à la fois. Ce qui est impossible. C'est un problème insoluble. Et lorsqu'ils apparaissent à quelqu'un, c'est de façon à ce que cela corresponde le mieux au message qu'ils ont à lui délivrer. Ils se conforment à l'apparence qui coïncide avec ce qu'attend la personne, pour délivrer au mieux le message. Cette apparence-là est totalement ambigüe. Elle est réelle et elle est apparente à la fois. Saint Thomas d'Aquin dit cette chose extraordinaire : Ils assument l'apparence, C'est-à-dire que cette apparence est à la fois vraie et reconstituée. En angélologie cette restructuration de la perception du monde est recouverte par le mot, très beau, de vision spéculaire.
M. N. - Tout ce que tu dis des anges vaut, naturellement, pour ton œuvre...
E. P. - Ah, mais exactement ! Il y a quelque chose de pervers qui couvre toute mon attitude par rapport à ce que je fais. C'est une question d'attitude. Tout le reste serait prétentieux.
M. N. - Quandles attitudes deviennent formes que produisent-elles chez toi'?
E. P. - Quand les attitudes deviennent formes, forcément l'attitude s'infiltre dans la forme, en partie à mon insu. Il ne faut pas passer son temps à analyser mais forcément ça se passe et forcément tout ce que je fais est sournoisement infiltré par cette attitude paradoxale. D'ailleurs à New York quand j'ai fait plusieurs conférences angélologiques, l'une s'est passée très sagement à Clocktower, les gens posaient poliment des questions. Mais chez Dorothea Rockburne chez qui étaient toutes les célébrités de l'époque, les gens étaient fous de rage ! Ça a vraiment failli tourner à l'émeute. "Qu'est-ce que vous me racontez-là ! Vous êtes peintre ou vous n'êtes pas peintre ? Au fait qu'est-ce que vous êtes en train de nous dire, c'est absurde ? Qui êtes- vous ? " Ils étaient furieux. C'étaient l'époque de la peinture américaine triomphante. Ils étaient en pleine paranoïa nationaliste. Et tout d'un coup il y avait là une sorte d'être pour eux totalement inconsistant, non reconnu, qui parlait de peinture. Alors eux : "De quel droit ? Qui est-ce ? Qu'essaie-t-il de nous dire ?" Ça s'est très mal passé, donc ça s'est très bien passé, parce que si ça ne s'était pas mal passé ça aurait été raté.
M. N. - Tu m'as annoncé que l'exposition qui t'occupe aujourd'hui et qui sera montrée à Clisson, puis à Chalon-sur-Saône, serait plus conceptuelle et cela dans un sens plus radical, J'aimerais savoir ce que tu entends par conceptuel et en quoi ce que tu montres l'est.
E. P. - D'abord je considère que le phénomène artistique est constitué de plusieurs éléments. L'élément conceptuel est l'un d'eux. Il est intéressant de tirer le plus loin possible l'élément dont on s'occupe dans l'ensemble des éléments. L'art conceptuel va au bout d'un élément. C'est tout. Dans le Livre des projets sans fin il est question de l'art artistique. Pour me moquer parce que je considérais ça dégoutant de dire "je suis un artiste, je fais de l'art. " Alors si c'est de l'art artistique ça devient absurde par le redoublement. Cela c'est une attitude conceptuelle.
M. N. - Dans l'art conceptuel il y avait l'idée qu'un projet pouvait être réalisé ou non. L'idée prévalait.
E. P. - C'était mon cas aussi.
M. N. - Tout part chez toi du Livre des projets sans fin...
E. P. - Oui : les trois quart de mes projets n'ont pas été réalisés. J'ai même conçu un projet de non réalisation.
M. N. - Mais cette exposition des Inventaires montre des œuvres sur toiles.
E. P. - D'abord il y a une chose intéressante, non prévue, une sorte de hasard objectif : il se trouve comme tu sais que je suis assez malade. La Fondation de France, à qui je lègue tout, fait l'inventaire complet de mon travail. L'inventaire littéral et l'inventaire artistique, pour employer un mot horrible, coincident. Le principe c'est de proposer une démonstration, mais une démonstration avec un certain recul, une démonstration exploratoire. C'est-à-dire que je veux rater le terrain et ne pas savoir tout à fait où je vais. Parce que si je savais où J'allais je ne ferais rien du tout.
M. N. - Cet inventaire concerne la couleur. L'être même de la couleur,
E. P. - La base de la peinture c'est la couleur. Ce moyen-là je le mets en question d'une manière exploratoire, le plus radicalement possible. je ne vois pas pourquoi on se contenterait de peindre avec des couleurs sans avoir une attitude subversive vis-à-vis d'elle. La plupart des artistes - bons ou mauvais d'ailleurs - peignent sans se poser la question de la couleur. C'est donc une question sur son essence même.
M. N. - De quelle façon te poses-tu la question ?
E. P. - Par le fameux fil paradoxal des anges. je me dis : c'est trop simple que ce soit admis. je me suis intéressé à remuer le moyen utilisé par cet arrière-plan paradoxal des anges. Il y a toutes sortes de paradoxes qui se montrent de façons différentes. L'œuvre de Wittgenstein est paradoxale. Elle a une logique tellement démente que ça se retourne et que ça devient un paradoxe. Quand on commence un livre en disant Le monde est ce qui arrive c'est presque une vérité de La Palisse qui devient un autre type de paradoxe. Mais l'espèce d'évidence minutieuse et maniaque de Wittgenstein constitue un paradoxe rarissime en écriture.
M. N. - Tu te sens assez proche de cela ?
E. P. - Oui. Wittgenstein m'intéresse énormément parce que quand les choses sont poussées aussi loin, elles deviennent des monstres et produisent des situations qui ne se résolvent pas. M. N. - Mais un i'nventaire c'est en principe quelque chose qui se résoud.
E. P. - Non.
M. N. - Faire un inventaire c'est pourtant désigner une réalité et la décrire pour la recenser dans sa totalité.
E. P. - Non : un inventaire, pour moi, c'est quelque chose qui continue malgré soi, on ne sait pas comment. Parce que, si je savais comment, je serais au courant du paradoxe sous-jacent et si je suis au courant du paradoxe sous-jacent, je deviens un fabricant de paradoxes.
M. N. - Comment se présente cet inventatire ?
E. P. -je présente ça comme on présente des flèches préhistoriques ou des silex dans un musée de province.
M. N. - Quelle est l'idée ?
E. P. - Faire l'investigation d'une chose dont on ne pense pas à faire l'investigation d'habitude. Et laisser l'investigation m'échapper jusqu'à ce qu'elle devienne étrangement mystérieuse et intéressante. je réduis pour cela la peinture à une masse symbolique qui est la peinture elle-même. je fais une sorte d'objet concentré qui est la matière même de la peinture et qui la symbolise. Ces masses sont posées au centre d'une toile vierge. On ne peut pas dire que c'est un tableau, c'est une démonstration.
M. N. - Les couleurs ne sont pas toujours pures. Il y a des mélanges.
E. P. - Il y a des couleurs pures et il y a des mélanges. je suis en train de faire quatre ou cinq peintures qui s'intitulent l'Inventaire du vert, l'Inventaire du bleu, l'Inventaire
du jaune, l'Inventaire du noir. Ça c'est pur avec de la toile vierge autour et avec des vibrations à l'intérieur de la couleur obtenue en réalisant deux passages d'un seul geste chaque fois, sans repentir.
M. N. - La trouvaille c'est la réserve blanche tout autour. Autrement ça ne différerait pas beaucoup du monochrome. Or ce ne sont pas des monochromes. li n'y a aucune dimension spirituelle dans ces inventaires.
E. P. - Voilà, tu as raison : autrement, en effet, ça devenait de faux Klein. Mes inventaires c'est exactement le contraire. je voulais encore une fois ne pas avoir d'opinion. Tendre au maximum vers une peinture qui réussit en même temps à être une machine, une structure pure et qui, par de très vagues accidents met en question la structure. Parce qu'il y a quelque chose de très important dans mon œuvre, dans mon attitude plutôt: l'avantage d'une structure élaborée c'est quand elle s'écroule, c'est alors un enrichissement inouï. Ça met en question tout ce que tu as structuré et ça t'apporte des informations que tu n'aurais jamais pu avoir autrement. C'est un peu le mystère de ce qu'on appelle la théorie du chaos.
M. N. - Cette exposition est faite sinon pour combattre l'idée qu'on pourrait avoir de toi à travers tes expositions les plus récentes à la Fondation Cartier ou chez Isy Brachot, du moins pour essayer de montrer que tu n'es pas que cela.
E. P. - Oui, pour montrer que je suis fluctuant. Que mon investigation est souple. Elle passe par des moments radicaux et des moments quasi littéraux. L'exposition se situe entre la radicalité conceptuelle et la peinture, dans le sens le plus bête.

Entretiens réalisés en janvier et le 1er mars 1992.

 

 

 

 

 

 



Fragments du Triomphe
de la mort de la peinture
)1968(

 

 

 

 

 

 



Artist Emmanuel Pereire
Title Sans titre
Year 1988 -
Medium acrylic on paper
Size 11.4 x 7.9 in. / 29 x 20 cm.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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